IRWIN, How to Read a Map au centre d’art Pasquart est le dernier volet d’une série de quatre expositions retraçant les activités du collectif slovène IRWIN de sa fondation en 1983 jusqu’à nos jours. Cette exposition, curatée par Julia Draganović et Claudia Löffelholz (LaRete Art Projects), est la première présentation d’envergure du collectif en suisse et se concentre plus particulièrement sur l’influence de la géopolitique dans leur travail.

Fondé en 1983 à Ljubljana, le collectif Rrose Irwin Sélavy, nommé ainsi en hommage à Marcel Duchamp, est formé par cinq jeunes peintres: Dušan Mandič, Miran Mohar, Andrej Savski, Roman Uranjek et Borut Vogelnik. Devenu IRWIN en 1984, il sera marqué par les mouvements politiques des années 1990 et l’effondrement du bloc de l’Est. Le langage plastique du collectif se diversifie au fil des années, allant de la peinture à la vidéo en passant par l’installation, l’intervention dans l’espace public et la photographie. Le collectif signe d’une seule main tous les travaux de ses membres, apposant un tampon sur les œuvres produites. Il s’approprie l’esthétique fasciste et stalinienne, utilise les icônes et symboles politiques ou religieux, ou encore le patrimoine culturel slovène en tant que base de travail.

Neue Slowenische Kunst

En parallèle d’IRWIN, les membres du groupe cofondent avec des jeunes musiciens, des peintres, des performeurs et des philosophes issus de la scène underground de Ljubljana le collectif Neue Slowenische Kunst (connu sous l’acronyme NSK). La NSK, dont le nom met en évidence la Slovénie et non la confédération d’états dans lequel se trouvait alors la République socialiste de Slovénie, imite l’esthétique du gouvernement yougoslave, et organise notamment des débats et lectures publiques autour des artistes et scènes artistiques en Europe de l’est. Structure hiérarchique s’apparentant à un état totalitaire, communication maitrisée sous forme de manifestes préfabriqués, la NSK se structure sur le modèle des dictatures et tente de démonter, de manière provocatrice, les mécanismes du pouvoir.

Trois ans après la mort du maréchal Tito (1892-1983), la Yougoslavie est mal en point, la crise économique touchant le bloc communiste fait rage et les premières tensions indépendantistes slovènes et serbes se font sentir. Le bloc de l’Est se délite progressivement depuis 1989, et la Slovénie obtient son indépendance en 1991. La NSK perd alors sa première raison d’être critique, et décide, en réaction aux luttes nationalistes, de fonder un nouvel état, qui ne serait pas défini par un territoire mais par la notion de temps. Devenu la NSK State in time en 1992, le groupe copie les nouveaux passeports de la jeune république de Slovénie, modifiant graphisme et contenus mais faisant appel à la même imprimerie. Le résultat très convaincant permit à quelques Bosniaques de pouvoir passer plusieurs frontières à la fin des années 1990 (la Bosnie n’était alors pas reconnue sur le plan international, ses citoyens n’avaient pas de documents valables internationalement). Aucune condition n’étant requise pour acquérir la nationalité du NSK State in time (qui compte actuellement environ 15’000 citoyens, dont une large partie vient du Nigéria), la micro-nation à but artistique se fit dépasser par les demandes en provenance de Lagos dans les années 2010, à tel point que la Slovénie demanda au collectif de préciser que l’obtention de la nationalité NSK ne donnait pas droit à la nationalité slovène.

Si les notions de frontières, nations, identités politiques et artistiques sont centrales dans toute l’œuvre d’IRWIN, les centaines de demandes de nationalisation reçues par la NSK rendent très concrètes des problématiques d’abord tournées vers le monde de l’art. Elles sont aujourd’hui plus que jamais d’actualité, au vu du renforcement des dispositifs de protection aux frontières et de la montée du nationalisme un peu partout dans le monde. La NSK State tient actuellement un pavillon à la biennale de Venise, ajoutant une nouvelle dimension au projet. Proposant des discussions, collaborations et échanges avec des associations de migrants, elle tente de proposer une nouvelle définition de la notion d’état et de citoyen dans le monde actuel. En relation avec le pavillon, un bureau temporaire d’admission de passeport sera ouvert au centre d’art Pasquart le temps de l’exposition.

Transnacionala & East Art Map

En 1996, IRWIN entreprends une traversée des États-Unis d’est en ouest (en passant par Atlanta, Richmond, Chicago, San Francisco et Seattle) avec un petit groupe d’artistes internationaux. Intitulé Transnacionala, l’idée est de débattre de la possibilité (et surtout de l’impossibilité) de s’entendre sur une identité artistique de l’Europe de l’Est. Ce projet donna lieu à une suite de débats et présentations publiques entre les membres du collectif et les communautés artistiques locales. C’est suite à ce projet, que le groupe amorce East Art Map, vaste projet de « (re)construction de l’Histoire de l’art contemporain en Europe de l’est » depuis 1945 jusqu’à nos jours. Considérant que l’histoire de l’art est principalement rédigé par des théoriciens de l’Europe de l’Ouest, le projet tente d’officialiser les pratiques artistiques issues de l’underground en tant qu’histoire de l’art « valable », sous le leitmotiv « […] l’Histoire n’est pas donnée. Elle doit être construite. » S’il est actuellement plus difficile d’identifier une dichotomie aussi clairement établie entre les artistes de « l’est » et ceux de « l’ouest », IRWIN a œuvré pour une séparation de l’artiste de son contexte national et a placé sur la carte des pratiques artistiques ignorées de l’histoire de l’art jusque là. Le projet est d’ailleurs toujours en cours de développement, ouvert à tous et accessible en ligne sur le site internet dédié au projet.

L’exposition IRWIN, how to Read a Map propose ainsi plusieurs points d’entrée dans une pratique collective imbriquée avec les événements politiques et artistiques de ces trente dernières années en Europe. Une sélection de pièces (de 1992 à 2017) est présentée, rappel de projets emblématiques du collectif combinés aux projets en cours, et accompagnés d’un glossaire compilant les images, signes et symboles utilisés par IRWIN au fil des années. Cette pratique critique, collaborative, et très référencée, est forcément complexe à appréhender au premier coup d’œil. Elle nécessite que les pièces soient mises en contexte pour que l’on puisse en saisir les enjeux et leur finalité.

Exposition du 22 septembre au 19 novembre 2017
centre d’art Pasquart
Faubourg du Lac 71–73
2502 Biel / Bienne